Matériaux de construction : quelles sont les mixités gagnantes ?

Nouvelles normes, nouveaux besoins, nouveaux design, les constructions d’aujourd’hui et de demain remettent en question leurs prérequis quant aux matériaux utilisés. « Quelles sont les mixités de matériaux les plus pertinentes dans la construction ? », c’est la question posée par le CNDB* lors de son colloque du 16 février 2016 à Paris. Une question que s’est posée aussi Anne Carcelen**, avec la réalisation du lycée Nelson Mandela à Nantes en 2014. Un étonnant complexe de 25 550 m2 fait de bois, verre et métal qui est l’un des tous premiers lycées à énergie positive de France. Anne Carcelen revient pour nous sur ce projet et nous livre son analyse des mixités gagnantes de matériaux dans les constructions de demain.

 

Anne Carcelen Architecte

Comment est née l’idée de bâtir un lycée BEPOS (Bâtiment à énergie positive) ?

La région des Pays de la Loire avait déjà engagé cette réflexion : quel type de lycée pour demain ? Il se construit peu de lycées en France et la question de l’énergie est à chaque fois primordiale. En effet, le taux d’occupation d’un lycée est très inférieur à celui des bureaux ou des logements ; au regard de sa construction, il est très consommateur d’énergie par rapport à son utilisation finale. Alors l’ouverture des espaces scolaires à d’autres usages est dans l’air du temps, pour mutualiser les équipements afin de rentabiliser la dépense énergétique :

  • Le gymnase est ouvert le soir et le week end
  • L’internat est ouvert l’été aux étudiants étrangers
  • Et l’auditorium est partagé pour se transformer en salle de répétition de l’Orchestre National des Pays de La Loire et du conservatoire à proximité.

Pour créer un bâtiment à énergie positive, il faut d’abord réduire au maximum sa consommation avant  de compenser l’énergie consommée par des énergies renouvelables, c’est la clé !

 

Alors, comment avez-vous réussi à créer un bâtiment BEPOS ?

En l’absence de définition de certification BEPOS en 2010, nous avons dépassé les objectifs de la RT 2012*** (qui impose une consommation maximum de 50 kWh/m²/an), puisque nous sommes à 30/35 kWh/m²/an. C’était un effort très important alors, et qui est actuellement vérifié sur une période de 3 ans avec le relevé réel des consommations. Pour y arriver, il n’y a pas à proprement parler de recette miracle, mais une succession de mesures et d’astuces à toutes les échelles, du concepteur à l’utilisateur.

Les 3 postes les plus énergivores pour la construction d’un tel bâtiment sont le chauffage, la ventilation, et la lumière. Auxquels s’ajoute la dépense énergétique du monde connecté, qui serait une réflexion pertinente à mener dès aujourd’hui.

  • Pour le chauffage, avec la maîtrise de l’isolation et de l’étanchéité à l’air, on est arrivé presque au bout de la question, si l’on considère la taille des radiateurs d’appoint en proportion des salles de classe. On a aussi maîtrisé la déperdition thermique en limitant les parois froides (façades extérieures). En effet, les trois équipements, -gymnase, lycée, internat- sont contigus ; d’n certaine manière, ils se tiennent chaud les uns contre les autres. De même, les apports solaires de la verrière tempère l’espace de la rue intérieure en créant un espace tampon, tandis que l’été on évacue les calories par une ventilation naturelle de manière automatique grâce à une mini station météo. L’air frais arrive par la multitude de baies en partie basse tout le long de la rue et s’évacue par le sommet de la verrière à la manière des serres.
  • Pour la ventilation, nous avons installé des détecteurs de CO2 afin que la ventilation se déclenche dès lors que la salle de classe est occupé Si l’enseignant ouvre la fenêtre, la ventilation s’arrête immédiatement. Le principe du double flux permet aussi de récupérer les calories émises dans l’évacuation de la chaleur produite par l’occupation dans les locaux.
  • Pour la lumière, nous éclairons les fonds de classe et installons de grandes fenêtres. Un détecteur de présence et de luminosité s’allume et s’éteint automatiquement en cas d’absence. Les lampes à leds participent aussi à la réduction de la consommation d’énergie.
  • Pour l’eau chaude sanitaire, la récupération de la chaleur des douches ou de la laverie permet de préchauffer à nouveau l’eau.

La mise en place de nombreuses astuces que l’on pourrait appliquer au logement privé, permettrait de réduire de 30% la consommation d’énergie.

 

Quels matériaux se sont imposés pour ce bâtiment ?

Il n’y a pas d’exigence sur le bilan carbone des matériaux utilisés, mais il faut considérer que la dépense énergétique liée à la construction d’un bâtiment est pratiquement égale à la dépense énergétique de la vie de celui-ci.

Le bois demeure la meilleure solution pour ce type de problématique car son empreinte écologique est faible. Le lycée est donc principalement en bois.

Pour autant, nous avons choisi des matériaux pour leur pertinence et leur efficience. Le bois a des atouts que le béton et l’acier n’ont pas. Outre son bilan carbone positif, il est industrialisable (c’est-à-dire qu’il garantit une parfaite finition dans un temps de chantier réduit) ; il est beaucoup plus léger que le béton et l’acier et donc plus économe en fondation. Mais il a des inconvénients : son volume par rapport à l’acier par exemple ou sa mauvaise acoustique naturelle.

C’est ainsi qu’est née la nécessité de la mixité. Le bois fait alliance et offre tout à coup une structure chaleureuse, légère et tout à fait rentable économiquement par son gain de temps dans la pose et la finition.

Les planchers bois-béton ont constitué le parfait complexe acoustique qui absorbait les bruits entre les classes, le béton pour sa masse, le bois pour sa finition chaleureuse, sa légèreté structurelle. Les structures de la verrière bois-acier avec des portées allant jusqu’à 24m dans le gymnase ont permis de conserver cet aspect aérien de la structure bois, sans augmenter considérablement les sections de bois.

 

Est-ce difficile de concilier différents matériaux quant aux savoir-faire des différents corps d’état ?

Vous savez, nous faisons en quelque sorte un retour aux savoir-faire anciens. Les bâtiments haussmanniens étaient déjà à l’époque des immeubles mixtes faits de pierre, de bois et d’acier. Nous avons simplement perdu de vue ce savoir-là avec l’arrivée du béton armé.

En 2004, je suis allée chercher un vieux monsieur dans le sud de la France pour nous aider à concevoir un immeuble en bois. On avait perdu la compétence, trop habitué au tout béton. Mais aujourd’hui, le béton ne répond plus, tout seul, à nos exigences économiques, temporelles et esthétiques. Le temps de séchage du béton est bien trop long et au final coûteux à produire.

Ce sont les bureaux d’études et les charpentiers qui apportent des réponses à la mixité des matériaux, ils modélisent en 3D les structures et étudient chaque assemblage.

 

Est-ce le début d’une longue série de bâtiments de ce type ?

Lorsque l’on voit que des grands groupes comme Vinci ou Bouygues (dont la puissance a pesé sur la France avec l’hégémonie du béton) développent des structures internes charpentiers métal ou bois qui travaillent justement sur la mixité des matériaux, il y a bon espoir.

Le bois est une solution économique et écologique. Le lycée Nelson Mandela est un très bel exemple d’un équipement institutionnel dont le coût est resté dans le budget public, et qui offre des prestations bien au-delà d’un bâtiment de ce type. La provenance des bois était essentiellement Française (chêne, pin des landes) ou Européenne (épicéa pour les grandes portées), nous avons de vastes forêts de production de qualité en France peut-être un peu trop méconnues. Il faut juste changer les idées reçues, et réapprendre à consommer.

*Comité National pour le Développement du Bois
**Architecte et associée de l’agence Leclercq & Associés
***La Réglementation Thermique 2012 (RT 2012) devient obligatoire pour tous les projets individuels de construction neuve à partir du 1er janvier 2013

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