Innovations urbaines et écosystème territorial

Directeur de Villes Innovations et chercheur associé au laboratoire de sciences sociales PACTE à l’université de Grenoble depuis 15 ans, Raphaël Besson décrypte les politiques de la Ville. Tiers Lieux, espaces transitionnels, écosystème territorial, biopolitique des villes… Il nous expose les solutions d’avenir pour construire la ville de demain.

 

Pouvez-vous nous décrire les dernières tendances en matière de construction des villes ?

Dans les années 1990-2000, la ville de demain était pensée par le prisme de la technologie censée optimiser la gestion, la fabrique et le fonctionnement des villes. Ce premier  mouvement, celui des smart cities, a été essentiellement porté par des grands opérateurs comme IBM, Thalès ou Schneider Electric. Ces grands groupes ont senti le potentiel de marché que pouvaient représenter les nouvelles technologies et notamment celles liées au numérique. Ils ont investi des champs comme la mobilité, la santé, l’environnement ou l’énergie, avec notamment tout un marketing autour des smart grids.

Le second mouvement assez fort qui a marqué l’imaginaire est celui dela ville créative inspiré des travaux du chercheur américain Richard Florida. Cette ville créative concerne les villes qui réussissent à attirer les talents, cette fameuse « classe créative », et à planifier des grands quartiers créatifs, souvent positionnés sur les industries culturelles et créatives. Et le troisième mouvement est celui de la ville durable.

Ces modèles génériques de planification de villes durables, intelligentes ou créatives sont aujourd’hui largement remis en cause. Ils cèdent progressivement le pas à un urbanisme tactique, éphémère et collaboratif. Les « starchitectes » et les ingénieurs semblent s’effacer au profit de collectifs, de « Makers » et de jardins partagés. Les habitants et les usagers se transforment en « citoyens contributeurs », le « soft » prend sa revanche sur le « hard ». Les dynamiques ascendantes deviennent donc fondamentales pour construire la ville. Les collectivités publiques sont un acteur parmi tant d’autres pour produire la ville, et elles se doivent aujourd’hui d’intégrer les acteurs informels de la production urbaine que sont les utilisateurs, les habitants, les citoyens, les touristes.

L’un des enjeux de la ville de demain, c’est une action publique qui soit capable d’innover et de se transformer en interne, afin d’identifier et de travailler avec les ressources latentes des villes et les acteurs informels de la production urbaine »

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Il faut donc mettre de côté la data et la notion de citoyen comme vecteur de technologie ?

Avec l’open data (l’ouverture des données, NDLR), les entreprises et les institutions ont été dans une logique diffusionniste des choses. Ils ont ouvert une multitude de données aux citoyens, avec cette idée que ces derniers seraient naturellement en capacité de se les approprier. Or dans la réalité, ce n’est pas du tout ce qui se passe. En fait la réappropriation de ces informations est quasiment nulle par le citoyen lambda. En revanche, je crois davantage à la question de la coproduction des données. Il y a des projets qui m’intéressent beaucoup et qui commencent à pressentir ces enjeux : c’est le cas du projet Smart Citizen. Né des Fab Labs de Barcelone, ce projet défend l’idée que n’importe quel citoyen peut être en capacité de récolter et d’analyser des données sur la pollution atmosphérique, le bruit, l’humidité dans son quartier. Grâce à un kit que chacun peut avoir chez soi, les barcelonais deviennent eux-mêmes capteurs de leur environnement, ils jouent un rôle proactif. Et c’est de cette interaction entre les données produites par les institutions et les entreprises et celle récoltées par les citoyens, que pourra naître à mon avis un véritable espace de débat démocratique et une perspective intéressante pour construire la ville de demain.

 

Comment définiriez-vous la notion de Tiers Lieux ?

 Il y a une cinquantaine de définitions différentes pour expliquer ce qu’est un Tiers Lieu ! On est donc face à une notion fondamentalement floue. A mon sens, c’est un espace tiers qui permet la mutualisation des ressources et la collaboration entre des acteurs extrêmement hétérogènes. A partir de cette caractéristique, on observe aujourd’hui une très grande diversité de Tiers Lieux, qui peuvent intéresser des questions économiques, culturelles, sociales, numériques ou encore écologiques.

Mais davantage que les Tiers Lieux, je m’intéresse à ce que j’appelle des espaces transitionnels. Par espaces transitionnels, j’entends des espaces qui développent des solutions structurelles et globales aux défis des transitions, et non des réponses conjoncturelles, adaptatives et séquentielles. A la différence des Tiers Lieux qui se contentent de s’adapter aux transitions sur une dimension spécifique, les espaces transitionnels sont pro-actifs et développent une approche systémique des transitions. Ils identifient et expérimentent des solutions alternatives aux transitions et sont surtout en capacité de les faire passer à l’échelle. Une dernière caractéristique de ces espaces transitionnels est qu’ils considèrent les transitions non pas comme un état transitoire mais comme un état permanent !

 La ville de demain, c’est un peu une négation de la ville. Aujourd’hui, il faut penser en écosystème qui intègre les espaces ruraux, péri-urbains et les métropoles. »

 

Est-ce qu’il n’existe pas un risque d’une fracture sociale et géographique encore plus grande entre des citoyens acteurs qui s’impliquent dans la Cité et des citoyens de banlieue dits de « seconde zone » ?

Le problème actuel de la politique de la ville est qu’elle propose une lecture misérabiliste des quartiers en difficulté. Elle pointe essentiellement les faiblesses et les points négatifs de ces territoires. Plus le taux de chômage est élevé sur un quartier, plus ce territoire aura des chances de bénéficier de subventions et de dispositifs d’accompagnement.

Or, tout l’enjeu pour penser le développement des villes et des quartiers défavorisés, consiste à identifier les ressources latentes, et à mettre la lumière sur des dynamiques tout aussi prégnantes, de créativité, de solidarité et d’invention de solutions alternatives vectrices de performance socio-économique.

Les politiques urbaines et territoriales doivent donc inverser le regard sur les territoires en difficulté, pour les appréhender non pas du point de vue de leurs handicaps mais de leurs atouts. Je suis convaincu qu’il existe une quantité incroyable de ressources dans les territoires sensibles, périurbains ou de faible densité. Tout l’enjeu par conséquent est d’identifier les avant-gardes, c’est-à-dire les acteurs et les actions dites « innovantes » au sein des territoires. Comment repérer les acteurs informels, les idées latentes et les innovations « en train de se faire » parmi la société civile, les acteurs économiques, associatifs ou publics ? Nous nous devons de tenir compte des forces de chaque territoire qui intègrent aussi bien les espaces ruraux, les espaces en marge, les espaces périphériques et métropolitains qui constituent l’écosystème territorial.  La ville de demain, c’est donc un peu une négation de la ville. Aujourd’hui, il faut penser en écosystème territorial qui intègre à la fois les espaces ruraux, péri-urbains et les métropoles.

 Si nous voulons penser à cette notion de ville productive, nous devons nous demander comment le vivant peut nous permettre de fabriquer les bâtiments et construire une autre politique de la ville. »

 

Qu’est-ce qu’une ville productive ?

La ville productive c’est d’abord la ville du capitalisme industriel, qui fournit des infrastructures de transport, une main d’œuvre abordable et des espaces fonctionnels afin de servir les besoins de la production industrielle. La ville se conçoit alors comme un immense automate où se superposent des machines pour habiter, circuler, travailler ou consommer.

Mais cette conception de ville productive est à mon avis en train de se transformer.  Je pense par exemple à des projets comme la Fab City de Barcelone, qui essaye de doter chaque quartier d’un Fab Lab, afin que les barcelonais produisent par eux-mêmes leur espace public, leurs aliments ou leur énergie. L’idée c’est de décentraliser les outils de la fabrique urbaine et de créer des quartiers ou des villes auto-suffisantes. Il y a un Fab Lab très avant-gardiste, c’est le Valldaura Self Sufficient Lab. Ce Lab est situé à une vingtaine de minutes du centre de Barcelone dans le parc de Collserola. Son objectif est de s’appuyer sur les ressources naturelles de ce parc, pour coproduire des prototypes liés à la ville auto-suffisante, comme des bio batteries, des micro bio architectures, des ruches connectées ou des panneaux d’affichage fabriqués à partir de la moisissure de champignons. Il y a là à mon avis les prémices d’une biopolitique des villes, c’est-à-dire une politique publique qui s’inspire du vivant pour bâtir les politiques urbaines et les architectures de demain. Et c’est je crois à cet endroit que résident les grands principes de la ville de demain.

 

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