Philippe Madec, architecte écoresponsable : pour une ville en harmonie avec la nature et ses habitants

Pionnier du développement durable en urbanisme et architecture, expert pour le Grenelle de l’Environnement, Philippe Madec invite tous les bâtisseurs à construire autrement. Selon l’architecte, moins de high-tech et plus d’écologie pourraient permettre de construire une ville en harmonie avec la nature et ses habitants. Rencontre.

 Le végétal urbain n’est pas de la nature. […] Ce n’est qu’un artefact. Le bâtiment générique a détruit l’environnement. 

 

Pourquoi y a-t-il urgence à construire autrement ?

Philippe Madec : Nous avons le sentiment depuis quelques décennies que la solution héritée du XX e siècle pour faire des bâtiments, c’est-à-dire une structure en béton de taille identique avec des façades identiques sur quatre côtés et un système très technique de ventilation est un système qui a fait son temps. Cette manière générique de fabriquer contribue fortement à la dégradation du climat.
La VMC (ventilation mécanique contrôlée), qui est arrivée dans les années 60, est un mauvais héritage des Modernes. Elle nous a fait perdre toute crédibilité à la construction des logements car auparavant toutes les pièces avaient une fenêtre pour générer une ventilation naturelle.
Aujourd’hui, les gens se réveillent et se rendent dans deux « placards » : les toilettes et la salle d’eau. Ce qui est quand même la vision la plus attristante que l’on puisse avoir du réveil matinal
Avec mon atelier, nous effectuons un travail pour faire en sorte que les habitants gagnent de la lumière dans toutes les pièces. À Saint-Nazaire, nous avons réalisé les premiers et les seuls logements collectifs en ventilation naturelle assistée contrôlée. Nous sommes en train de négocier avec l’état pour réaliser des logements sans aucun système de ventilation mécanique. Pour un projet à Bordeaux, nous souhaitons faire en sorte que le renouvellement de l’air s’opère avec zéro VMC, mais uniquement avec des apports qui viennent depuis les façades et les entrées d’air. Si nous réussissons à réaliser cela, nous allons révolutionner l’avenir du logement en France.

 

Pour un projet de médiathèque et une maison des réfugiés dans le XIXe arrondissement de Paris, vous allez utiliser des briques en terre crue et de la ventilation naturelle, des solutions qu’on pourrait croire réservées à l’hémisphère Sud ?

Je fais de la ventilation naturelle depuis 17 ans, évidemment que cela fonctionne ! La ventilation naturelle est une ambition moderne qu’il faut réussir à régler car ce serait une catastrophe écologique que les pays du sud considèrent qu’il n’y ait que la climatisation pour régler les problèmes de climat. Il y a de très grands architectes comme l’australien Glenn Murcutt ou l’africain Francis Diebedo Kéré qui montrent bien que l’on peut faire une architecture de très grande qualité sans climatisation. L’Afrique devrait se protéger de cette vision si machiniste de l’avenir.
En ce qui concerne la matière, si vous regardez bien, les architectures paysannes en France jusqu’au XIXe siècle utilisaient toutes la terre. Revenir à cette possibilité de construire en terre crue, ce n’est pas faire machine arrière, c’est juste un intérêt pour la ressource locale, pour la matière physique qu’est la terre avec une empreinte carbone réduite, mais aussi pour le savoir-faire des gens.

 Le Manifeste pour la frugalité prône une utilisation réduite de l’énergie et de la technologie et un choix de matériaux biosourcés.

 

Vous êtes à l’initiative du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative, pouvez-vous nous en dire plus ?

Notre secteur d’activité émet 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Nous devons faire un choix dans nos combats pour que la situation à venir porte moins atteinte à la planète. Le Manifeste pour la frugalité prône une utilisation réduite de l’énergie et de la technologie et un choix de matériaux biosourcés.
La frugalité consiste à dire que nous allons essayer de réfléchir d’une façon plus intelligente en imaginant une conception bioclimatique des bâtiments. Plus il y a de high-tech, plus l’obsolescence programmée trouve sa place, plus les systèmes sont complexes et plus les pannes sont récurrentes et la consommation d’énergie importante.

 L’apport des citoyens dans le projet urbain, c’est un autre aspect de la biodiversité. Il n’y a pas que les plantes, il y a les citoyens. La nature est là, nous sommes membres de la nature.

 

Dans une interview, vous vous dites opposé aux murs végétaux ?

Il y a murs végétaux et murs végétaux. Si vous plantez au pied d’une façade de la vigne vierge ou du lierre, vous végétalisez avec une plante qui est dans une situation naturelle.
Si vous végétalisez en construisant une structure en acier, en installant des poches pour monter la terre, en créant un réseau électrique et un réseau d’eau et que pour l’entretenir, vous devez utiliser une grue pendant plusieurs jours, je n’appelle pas cela de l’écologie. J’appelle cela du décor vert et du greenwashing.
En revanche, le fait de planter des arbres et de végétaliser des toitures en ville est une décision très positive pour maîtriser les îlots de chaleur. Avec le rayonnement solaire sur des surfaces minérales, il y a la création d’une chaleur supplémentaire et il faut absolument s’en préserver.

 

Selon vous, comment construire la ville de demain ?

La ville de demain, c’est la ville construite avec tous et partager avec tous. C’est la ville de la co-construction et de la co-conception. L’apport des citoyens dans le projet urbain, c’est un autre aspect de la biodiversité. Il n’y a pas que les plantes, il y a les citoyens. La nature est là, nous sommes membre de la nature.
Le grand enjeu est : qu’est-ce qu’on fait du vivant ? Comment on l’engage dans les projets architecturaux et urbains ? Retrouver les conditions de nature, c’est retrouver des conditions de vie heureuse et tous les projets que mon atelier réalise vont dans ce sens-là.

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